C’est souvent en me baladant que me viennent des sujets d’article. Je prenais des notes en me baladant au Jeu de Paume, fascinée par une rétrospective de photographie contemporaine. Une femme près de moi s'est exclamée : « C'est impudique ! ».
Elle fixait une série de Nan Goldin montrant un couple dans l'intimité de leur chambre. J'ai failli lui répondre que si elle trouvait ça choquant, elle n'avait qu'à voir ce que les peintres hollandais du XVIIe siècle se permettaient déjà de montrer (bon, d'accord, pas exactement de la même façon, j'en conviens).
Cette réaction m'a fait réfléchir à notre rapport si complexe à la représentation de l'intime. Car l'art, depuis des siècles, joue ce rôle fascinant : il nous permet de regarder par le trou de la serrure sans culpabilité. De Vermeer à Nan Goldin, les artistes ont capturé ces moments où l'être humain se dévoile, se révèle dans sa vérité nue – parfois littéralement, parfois métaphoriquement.
Commençons notre voyage avec Johannes Vermeer. (On aurait pu commencer chez les grecs, mais leurs mœurs étaient vraiment très éloignées des nôtres.) Ses toiles du XVIIe siècle peuvent sembler sages à nos yeux contemporains – une femme qui lit une lettre près d'une fenêtre, une autre qui pèse des perles, une servante qui verse du lait. Pourtant, ces scènes étaient révolutionnaires dans leur attention portée à l'intimité quotidienne.
Dans « La Jeune Fille à la perle » ou « La Liseuse à la fenêtre », Vermeer nous fait entrer dans un espace privé, nous transforme en témoins silencieux d'un moment qui n'était pas destiné au regard public. Cette jeune femme absorbée dans sa lecture n'a pas conscience d'être observée – et c'est précisément cette absence de conscience du spectateur qui crée l'intimité. Comme l'explique l'historien d'art Lawrence Gowing, Vermeer capture « non pas l'action, mais la tranquillité ; non pas la surface, mais l'intériorité. »
Ce qui me touche chez Vermeer, c'est cette qualité méditative qu'il insuffle à des gestes ordinaires. La lumière qui entre par une fenêtre latérale fait plus que simplement éclairer une scène – elle révèle la dignité du quotidien, transforme l'ordinaire en sacré. L'intimité, nous dit Vermeer, ne se trouve pas nécessairement dans les grands moments dramatiques, mais dans cette attention portée à l'instant présent.
Sautons un siècle ou deux (désolée pour les puristes qui voudraient un parcours exhaustif, mais j'ai une limite de mots, moi !). Le XIXe siècle apporte un changement radical dans la représentation de l'intime.
D'un côté, nous avons les scènes de genre victoriennes avec leurs intérieurs bourgeois impeccables – une intimité domestique idéalisée, aseptisée, qui renforce les valeurs familiales traditionnelles. De l'autre, surgissent des œuvres qui pulvérisent ces conventions : « L'Origine du monde » de Courbet (1866) expose crûment un sexe féminin, tandis que « Olympia » de Manet (1863) nous présente une prostituée qui nous regarde droit dans les yeux, renversant la dynamique du voyeurisme.
Ces œuvres n'étaient pas simplement scandaleuses pour leur nudité – la peinture académique regorgeait de nus « acceptables » sous couvert de mythologie. Non, leur véritable transgression était de montrer l'intimité sans le voile de l'idéalisation, de présenter des corps réels, des situations contemporaines, des regards directs. Linda Nochlin, dans ses travaux pionniers sur le réalisme, a brillamment démontré comment cette nouvelle approche de l'intimité était profondément politique.
Edgar Degas occupe une place particulière dans cette transformation. Ses « Baigneuses » ou ses danseuses en coulisses nous placent dans une position ambiguë : sommes-nous des voyeurs intrusifs ou des témoins d'une vérité cachée ? En capturant ces femmes dans des postures non conventionnelles, absorbées dans leur toilette ou se reposant entre deux représentations, Degas brouille la frontière entre public et privé. L'intimité devient ce moment de vulnérabilité où les masques sociaux tombent.
Le début du XXe siècle voit l'intimité se fragmenter sous le regard des avant-gardes. Comment montrer l'intime quand la notion même de réalité objective vole en éclats ?
Je pense notamment à Frida Kahlo, dont les autoportraits comme « Les Deux Fridas » ou « Henry Ford Hospital » exposent une intimité viscérale, à la fois physique et émotionnelle. Kahlo ne représente pas simplement son corps - elle l'ouvre littéralement, exposant son cœur, ses veines, sa colonne vertébrale brisée, sa fausse couche. L'intimité devient anatomique, métaphorique, autobiographique.
La critique d'art Whitney Chadwick souligne que Kahlo transforme « l'expérience personnelle douloureuse en une forme d'art universellement accessible », créant une nouvelle forme d'intimité qui n'est plus voyeuriste mais empathique. Nous ne regardons plus simplement l'intime - nous le ressentons dans notre propre chair.
Dans un registre différent, Edward Hopper capture dans « Nighthawks » (1942) ou « Morning Sun » (1952) une autre facette de l'intimité moderne : la solitude urbaine. Ces personnages isolés dans des diners, des chambres d'hôtel ou des appartements anonymes incarnent cette étrange intimité du citadin – à la fois exposé et profondément seul. L'intimité chez Hopper n'est pas celle du dévoilement, mais celle de l'isolement partagé. On est intime avec soi-même, sous le regard d'inconnus.
L'avènement de la photographie change radicalement notre rapport à l'intimité représentée. Soudain, l'art peut capturer l'instant réel (ou du moins donner cette illusion). Des photographes comme Henri Cartier-Bresson avec ses « images à la sauvette » ou Robert Doisneau avec « Le Baiser de l'Hôtel de Ville » saisissent des moments intimes fugaces, arrachés au flux de la vie.
Mais c'est peut-être Diane Arbus qui pousse le plus loin cette exploration photographique de l'intime. En photographiant des marginaux, des jumeaux identiques, des travestis, des personnes dans des institutions psychiatriques, Arbus révèle une intimité troublante – celle des êtres que la société préfère ne pas voir. Susan Sontag a critiqué cette approche comme potentiellement exploitative, mais on ne peut nier qu'Arbus a élargi notre conception de ce qui mérite d'être vu, de ce qui constitue l'intimité humaine digne d'attention.
Et puis arrive Nan Goldin, qui pulvérise les dernières barrières entre art et vie privée. Sa série « The Ballad of Sexual Dependency », commencée dans les années 1970, est un journal intime visuel sans concession. Amis, amants, moments de tendresse et de violence, sexe, drogue, maladie, mort – rien n'est trop personnel ou trop cru pour son objectif.
Ce qui distingue Goldin, c'est qu'elle ne photographie pas l'intimité des autres depuis une position extérieure – elle est pleinement immergée dans les scènes qu'elle capture. Goldin ne croit pas à la distance objective. Pour elle, l'idée que le photographe est invisible est un mensonge. Cette posture transforme radicalement notre rapport à l'intimité dans l'art : nous ne sommes plus voyeurs mais complices.
Les photographies de Goldin sont parfois difficiles à regarder – comme son célèbre autoportrait « Nan One Month After Being Battered » (1984) montrant son visage tuméfié après avoir été battue par son compagnon. Mais cette brutalité sert un propos : elle nous rappelle que l'intimité réelle n'est pas toujours belle ou confortable. Elle peut être crue, douloureuse, complexe.
Ce qui me fascine chez Goldin, c'est sa capacité à capturer à la fois la beauté et l'horreur de l'intime, souvent dans la même image. Une photo de deux amants enlacés peut être à la fois tendre et désespérée. Un portrait d'ami malade du SIDA irradie d'amour tout en nous confrontant à la fragilité du corps. L'intimité, nous dit Goldin, est ce territoire où coexistent les contradictions de l'expérience humaine.
Aujourd'hui, à l'ère des réseaux sociaux, des webcams et du partage constant, notre conception même de l'intimité est en pleine mutation. Des artistes comme Cindy Sherman avec ses selfies déformés sur Instagram ou Sophie Calle avec ses projets où elle expose délibérément sa vie privée (pensez à « Prenez soin de vous ») questionnent cette nouvelle frontière floue entre exhibition et authenticité.
Une étude récente sur les pratiques artistiques à l'ère numérique montre comment ces nouvelles formes d'exposition de soi transforment notre conception de l'intime. Quand tout peut être partagé instantanément avec des milliers de personnes, qu'est-ce qui reste vraiment privé ? Et quelle valeur accordons-nous encore à ces espaces préservés ?
Ce qui me semble particulièrement intéressant, c'est de voir comment certains artistes contemporains reviennent paradoxalement à une intimité plus retenue, plus suggérée que montrée. Comme si, face à la surexposition généralisée, le véritable acte radical était désormais de préserver des zones d'ombre, de mystère.
À travers ce voyage dans l'histoire de l'art, une chose devient claire : la façon dont les artistes représentent l'intimité façonne profondément notre propre conception de ce qu'est l'intime et de comment le vivre.
Vermeer nous a appris la valeur contemplative des moments ordinaires ; Courbet et Manet ont brisé des tabous pour nous permettre de regarder en face certaines vérités du corps ; Hopper a donné forme à cette solitude urbaine que nous connaissons tous ; Kahlo nous a montré le courage de l'auto-exploration sans concession ; Goldin a redéfini les limites entre observation et participation.
Ces artistes ne se contentent pas de refléter les conceptions existantes de l'intimité ; ils les créent, les transforment, les questionnent. Et c'est précisément ce qui fait de l'art un terrain si fertile pour notre propre exploration de l'intime. Car en fin de compte, l'intimité n'est pas un concept figé mais une construction culturelle en constante évolution.
Ce qui me touche particulièrement, c'est cette relation intime qui se crée entre l'œuvre et celui qui la regarde. Prenez « La Jeune Fille à la perle » de Vermeer – ce regard dirigé vers nous, qui semble nous reconnaître. Ou les photographies de Nan Goldin, qui nous font sentir comme si nous étions dans la pièce avec ses sujets.
L'art crée un espace liminal où les intimités se rencontrent : celle représentée dans l'œuvre, celle de l'artiste qui s'exprime, et celle du spectateur qui réagit avec sa propre sensibilité, son histoire, ses blessures et ses désirs. C'est un dialogue silencieux mais profond, une forme de connexion à travers le temps et l'espace.
Et c'est peut-être là que réside la magie particulière de l'art : sa capacité à nous faire vivre des expériences d'intimité médiatisées mais néanmoins authentiques. À travers une peinture ou une photographie, nous pouvons ressentir la solitude d'un inconnu, la passion d'un couple disparu depuis longtemps, la douleur d'une artiste transformée en beauté.
Si l'intimité est ce territoire mystérieux que nous explorons tous à tâtons tout au long de notre vie, alors l'art en est peut-être la carte la plus précieuse ; jamais complète, toujours subjective, mais riche en indications et en possibilités.
De Vermeer à Nan Goldin, des artistes cartographient pour nous différentes manières d'être intime ; avec soi-même, avec les autres, avec le monde. Ils nous ont montré que l'intimité peut être silencieuse ou explosive, douloureuse ou extatique, ordinaire ou transcendante.
Et surtout, ils nous rappellent que notre propre exploration de l'intime n'a pas à suivre un chemin prédéfini. Nous pouvons choisir la tranquillité contemplative d'un intérieur à la Vermeer ou l'authenticité brute d'une relation à la Goldin. Nous pouvons embrasser la solitude lumineuse de Hopper ou la vulnérabilité courageuse de Kahlo.
L'art nous offre non pas un modèle unique d'intimité à reproduire, mais un éventail de possibilités à explorer. Et n'est-ce pas exactement ce que nous cherchons chez The Contract ? Des outils pour naviguer notre propre territoire intime, avec curiosité, courage et bienveillance.
Alors la prochaine fois que vous vous retrouverez face à une œuvre d'art qui vous touche profondément, demandez-vous : quelle facette de l'intimité me révèle-t-elle ? Et peut-être, juste peut-être, vous découvrirez quelque chose de nouveau sur votre propre manière d'habiter ce mystérieux territoire.
The Contract explore l'intimité sous toutes ses formes, offrant outils et perspectives pour transformer vos relations personnelles et votre rapport à vous-même vers une authenticité libératrice.
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