Hier, dans le métro, j'ai observé une scène qui m'a frappée. Une femme était assise, écouteurs sur les oreilles, visiblement fatiguée. Un homme s'est assis à côté d'elle et a commencé à engager la conversation. D'abord, elle a souri poliment, retiré un écouteur. Puis, au fil des minutes, son langage corporel a changé : épaules qui se contractent, regard qui fuit, corps qui se tourne vers la fenêtre. Lui, il continuait à parler, ignorant complètement ces signaux. Elle n'a jamais dit « non » explicitement, mais son « oui » initial s'était transformé en un « non » silencieux que personne – à part elle et moi – ne semblait percevoir.
Cette scène banale illustre parfaitement la complexité du consentement dans nos interactions quotidiennes. Et si c'est déjà compliqué pour une conversation dans les transports, imaginez dans l'intimité ! Nous évoluons encore avec cette vision archaïque du consentement comme un contrat figé : on dit oui une fois, et hop, c'est acquis pour la suite. Sauf que nos frontières bougent, nos désirs fluctuent, et notre capacité à dire oui ou non authentiquement dépend de mille facteurs invisibles.
Pour moi, comprendre le consentement dynamique n'est pas qu'une curiosité intellectuelle. C'est une nécessité vitale née de mon histoire personnelle. Avoir vécu deux agressions sexuelles avant mes 17 ans m'a appris brutalement que mon « non » pouvait être ignoré, mais aussi – et c'est plus subtil – que mon « oui » pouvait être extorqué par la pression, la manipulation ou simplement mon incapacité à identifier mes propres limites.
Du médical à l'intime : une révolution conceptuelle
L'idée du consentement dynamique n'est pas née dans nos têtes de romantiques idéalistes. Elle trouve ses racines dans le domaine médical, où le consentement éclairé et continu est devenu un standard éthique incontournable. Dans les études cliniques, les recherches médicales ou les prélèvements d'échantillons, les professionnels ont compris depuis longtemps qu'un patient peut changer d'avis, même après avoir signé un formulaire de consentement.
Imaginez : vous participez à une étude sur un nouveau traitement. Vous avez dit oui au début, mais trois semaines plus tard, les effets secondaires vous pèsent. En médecine, votre droit de retrait est absolu et respecté. Personne ne vous dira « mais vous aviez signé ! ». On comprend que votre expérience évolue, que de nouvelles informations émergent, que votre tolérance change.
Alors pourquoi diable cette évidence ne s'applique-t-elle pas à nos relations intimes ?
Cette analogie m'a frappée pendant ma reconstruction post-trauma. J'ai réalisé que mon corps méritait la même protection, le même respect de ses variations, que celui accordé aux participant·e·s d'essais cliniques.Les recherches en bioéthique soulignent d'ailleurs que le consentement doit être un processus continu, pas un événement ponctuel.
L'art de l'écoute active de soi
Avant de pouvoir communiquer nos frontières aux autres, encore faut-il les percevoir nous-mêmes. Et là, nous entrons dans un territoire fascinant mais parfois déroutant : celui de l'écoute de nos signaux internes.
Votre corps parle, encore faut-il l'entendre. Cette tension dans les épaules quand une conversation prend un tour trop personnel. Cette chaleur dans le ventre quand quelqu'un nous regarde vraiment. Ces micro-signaux sont vos premiers indicateurs de consentement. Les neurosciences nous enseignent que notre système nerveux autonome réagit souvent avant notre conscience, nous offrant une boussole précieuse si nous prenons le temps de la consulter.
Pour moi, réapprendre à écouter mon corps a été révolutionnaire. Pendant des années après mes agressions, j'étais complètement dissociée de mes sensations physiques. La personne qui m'accompagnait m'avait dit : « Ambre, votre corps a des choses importantes à vous dire, mais vous avez coupé le son. » Remettre le volume, ça a pris du temps, mais c'est devenu ma superpower relationnelle.
Distinguez l'inconfort de croissance de l'inconfort d'alerte. Il y a cette sensation délicieusement effrayante quand nous nous aventurons en territoire inexploré – c'est l'inconfort de croissance, celui qui nous fait grandir. Et puis il y a l'autre, celui qui nous crie « stop » – l'inconfort d'alerte, qu'il faut absolument respecter. Apprendre à faire la différence, c'est développer votre GPS interne de l'intimité.
Embrassez vos contradictions. Hier vous aviez envie de proximité, aujourd'hui vous avez besoin d'espace. Ce n'est pas de l'incohérence, c'est de l'humanité. Nous ne sommes pas des robots programmé·e·s une fois pour toutes, et heureusement ! Cette variabilité est une richesse, pas un défaut.
La communication en temps réel
Maintenant que vous commencez à mieux vous écouter, comment traduire cette conscience en communication fluide ? Car c'est bien joli de savoir ce qu'on ressent, encore faut-il réussir à le partager sans transformer chaque interaction en conseil de guerre !
Développez votre vocabulaire de l'instant. « Je sens que j'ai besoin de ralentir », « là, je suis complètement disponible », « j'ai envie de tester quelque chose, mais en douceur »... Ces phrases toutes simples créent un espace de dialogue permanent. Les thérapeutes spécialisés en trauma soulignent l'importance de cette communication continue pour reconstruire la confiance.
En médecine, les soignants vérifient régulièrement l'état du patient pendant un soin : « Comment vous sentez-vous ? », « Est-ce que ça va toujours ? ». Cette même attention devrait être la norme dans nos explorations intimes.
Normalisez les ajustements en cours de route. Dans notre culture, changer d'avis est souvent perçu comme un échec ou une faiblesse. Erreur ! Dans l'exploration intime, c'est de la sophistication relationnelle. Créez ensemble un environnement où dire « finalement, j'aimerais qu'on change de direction » est non seulement accepté mais célébré.
Pour moi, cette permission de changer d'avis a été libératrice. Longtemps, j'ai cru que si je disais oui au début, je n'avais plus le droit de dire non. Comme si mon consentement était un engagement contractuel irrévocable.
Quelle connerie ! Nos émotions et nos désirs évoluent, c'est la base de l'humanité.
Utilisez le langage corporel comme allié. Un regard interrogateur, une main qui se tend ou se retire, une respiration qui change... Notre corps communique en permanence. Apprenez à lire ces signaux chez vos partenaires et à rendre les vôtres plus lisibles. C'est de la télépathie légale !
Le protocole médical adapté à l'intime
Ce qui m'a le plus inspirée dans les protocoles médicaux, c'est leur structure claire et bienveillante. Transposons cela à nos relations :
L'information préalable. En médecine, on explique la procédure avant de commencer. Dans l'intimité, partager ses intentions, ses désirs, ses appréhensions crée un cadre rassurant pour tous·tes.
Le check-in régulier. « Comment ça va pour vous ? » Cette question simple, posée régulièrement pendant un soin médical, devrait être notre mantra dans l'exploration intime. Pas besoin de couper l'élan – un regard, un murmure, un geste suffisent.
Le droit de retrait absolu. En recherche clinique, un·e participant·e peut arrêter à tout moment, sans justification, sans conséquence. Cette liberté totale devrait être notre standard relationnel.
Gérer les zones grises avec élégance
Ah, les fameuses zones grises ! Ces moments où notre consentement n'est ni un « oui » franc ni un « non » catégorique, mais plutôt un « peut-être que ça pourrait être intéressant si... ». Ces territoires ambigus font peur, pourtant ils recèlent souvent les plus belles découvertes.
L'approche progressive, votre meilleure amie. Plutôt que de plonger tête la première dans l'incertitude, explorez par paliers. « Et si on testait juste ça, et on voit comment je me sens ? » Cette approche respecte votre rythme tout en gardant la porte ouverte à l'expérimentation.
Cultivez la curiosité bienveillante. Remplacez « il faut que je sache immédiatement si j'aime ou pas » par « je suis curieuse de découvrir comment je réagis ». Cette posture transforme l'exploration en aventure plutôt qu'en examen de passage.
Honorez le droit au changement d'avis. Vous avez dit oui, vous vous êtes lancé·e, et finalement... non. C'est votre droit le plus absolu. Un consentement dynamique inclut la possibilité de faire demi-tour, même – et surtout – quand on a déjà commencé.
Les obstacles invisibles du consentement authentique
Parlons des éléphants dans la pièce. Ces pressions sournoises qui influencent notre capacité à consentir librement, sans même que nous nous en rendions compte.
La pression de performance relationnelle. « Je dois être un·e bon·ne partenaire », « il/elle va être déçu·e si je dis non »... Ces injonctions intériorisées parasitent notre écoute authentique. Identifier ces voix critiques est la première étape pour s'en libérer.
Mon histoire personnelle m'a rendue hypersensible à ces dynamiques. Quand on a vécu des agressions, on développe parfois ce réflexe de « compliance » – dire oui pour éviter le conflit, même quand tout notre être dit non. Les recherches sur le trauma montrent que les survivant·e·s développent souvent des mécanismes de fawn response – la tendance à satisfaire l'autre pour éviter le danger.
Le mythe de la spontanéité absolue. Contrairement aux idées reçues, un consentement conscient et communiqué n'enlève rien à la magie de l'intimité. Au contraire ! Il crée un espace de sécurité où la véritable spontanéité peut s'épanouir.
Les scripts sociaux obsolètes. Nous grandissons avec des modèles de relations souvent dysfonctionnels. « Les femmes doivent être disponibles », « les hommes doivent toujours avoir envie »... Déconstruire ces programmes automatiques demande du temps et de la patience.
Outils pratiques pour un consentement vivant
Assez de théorie ! Voici quelques techniques concrètes que nous utilisons et qui ont fait leurs preuves, inspirées directement des protocoles médicaux.
Le système des feux tricolores émotionnels. Vert : « je suis complètement là », orange : « j'ai besoin qu'on ralentisse », rouge : « stop, on fait une pause ». Simple, efficace, et ça marche dans toutes les situations intimes. Comme les échelles de douleur en médecine !
La météo interne quotidienne. Un petit rituel de deux minutes pour partager votre « météo du jour » : ensoleillé (disponible), nuageux (mitigé), orageux (besoin d'espace). Cela permet d'ajuster les attentes sans drama.
La règle des trois respirations. Avant de répondre à une proposition intime, prenez trois respirations conscientes. Cela vous reconnecte à vos sensations et évite les « oui » automatiques. Pour moi qui ai tendance à dire oui par réflexe, cette technique a été un game-changer.
Le débrief complice. Après une expérience nouvelle, prenez le temps d'échanger sur ce qui s'est passé. Sans jugement, juste de la curiosité mutuelle. « Comment tu as vécu ce moment ? » devient votre phrase fétiche.
Vers une intimité révolutionnaire
En réalité, pratiquer le consentement dynamique, c'est bien plus qu'une technique relationnelle. C'est un acte politique (au sens noble du terme). C'est refuser la marchandisation de nos corps et de nos émotions. C'est revendiquer notre droit à la complexité, à l'évolution, à l'authenticité.
Comme si respecter nos limites nous permettait paradoxalement de les dépasser en sécurité !
Pour moi, développer cette approche du consentement dynamique a été thérapeutique au sens le plus profond. Cela m'a permis de passer du statut de victime à celui de créatrice de mes propres règles relationnelles. Et quand Elian et moi avons formalisé ces pratiques dans nos premiers contrats, nous avons réalisé que nous tenions là quelque chose de fondamental.
Alors oui, c'est plus compliqué que le fameux « non c'est non » (qui reste d'ailleurs parfaitement valable). Mais cette complexité est le prix de relations vraiment épanouissantes. Et franchement, après avoir goûté à cette qualité de connexion, difficile de revenir aux approximations du passé.
Et puis, avec le temps, nous arrivons à nous connecter plus facilement. Et le "protocole" que nous nous étions créés s'effacent peu à peu au profit de la spontanéité.
Le consentement dynamique n'est pas une contrainte – c'est une libération. La libération de pouvoir enfin être pleinement vous-même dans vos relations, avec vos nuances, vos évolutions et vos mystères.
Et ça, ça n'a pas de prix.
Ambre De Lausnay
The Contract explore l'intimité sous toutes ses formes, offrant outils et perspectives pour transformer vos relations personnelles et votre rapport à vous-même vers une authenticité libératrice.
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